dimanche 25 mai 2014

Le vent se lève 風立ちぬ

Pour ma première critique/analyse de film j'avais pensé à Godzilla, mais le film m'a déçu et ça m'embêtait de commencer par une critique négative.
Et puis la semaine dernière j'ai assisté à une conférence de Michael Lucken, pro­fes­seur à l’INALCO, spé­cia­liste de l’art et de l’his­toire du Japon moderne.
Il a analysé le film "Le vent se lève" d'Hayao Myiasaki, et là tout est devenus plus clair.
Quand j'ai vu le film, j'avais des impressions sur lesquelles je n'arrivais pas à mettre des mots, ce que j'ai pu faire grace à cette conférence. Je vais donc vous livrer  mon analyse agrémentée de celle de Michael Lucken.



Le film fait référence à un poème de Paul Valery, le cimetière marin, dont la dernière strophe commence par ces vers :

Le vent se lève!... Il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs!

 

Il y a également une nouvelle de Tatsuo Hori, dont l'intrigue amoureuse servira à Hayao Myiazaki pour relation entre Jiro et Nahoko.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_vent_se_l%C3%A8ve_%28roman%29

Le film sortis au Japon en aout 2013 a fait polémique, parce qu'il présente une image d'un Japon défait, et un constat d'échec. Et a été ressentis comme une fable pacifiste dans un contexte ou la remilitarisation du Japon a été posée par Shinzo Abe, le premier ministre, avec changement de la constitution.
Étrangement en Corée du sud le film a fait polémique, parce qu'il a été vu, au contraire, comme un film militariste.
Comme quoi, on voit bien ce que l'on veut dans une oeuvre cinématographique.

En France, le film a été quelque peu éclipsé par l'annonce du retrait d'Hayao Myiasaki de la réalisation.
Certes ce n'est la première fois qu'il a annoncé son envie d'arrêter la fabrication de films (la première fois date de "Princesse Mononoke"), mais cette fois ci des éléments laisse à penser que ce sera son dernier film.
D'abord il a argumenté en disant qu'un film lui prenait 3 ans à faire, et qu'à 77 ans cela lui prenait trop d'énergie. Et puis il a déclaré qu'il souhaitait se recentrer sur le musée Ghibli. De plus ce film est le plus personnel de sa carrière. Autant d'éléments qui laisse à penser qu'il ne reviendra pas sur sa décision.

Comme ce film est très probablement le dernier, il a valeur de testament, impression renforcée par l'aspect très personnel du scenario.

Ce film a ceci de particulier qu'il n'est pas destiné à un jeune public, ce qui est une première. Ensuite pour comprendre les clés données ici il faut savoir que la famille d'Hayao Myiasaki, son grand père et son oncle, avait une usine de fabrication de pièces détachées d'avion, pour l'aviation Japonaise, Mitsubishi, et donc pour l'armée Japonaise. Et il on fabriqué des pièces qui ont été montée sur des avions "zéros".
Myiasaki a pu faire des films, certes, mais il a du faire des concessions sur la réalisation de ses films pour qu'il soient distribués et vu dans le monde. Ce qui qui fait une référence au mythe de Faust.
Ce film si personnel, l'est peut être plus encore en illustrant ce qu'aurait voulu faire Hayao Myiazaki dans son oeuvre et qu'il a du mettre de côté pour faire des compromissions sur la réalisation et la distribution, assurée par Disney.

Le film s'ouvre par cette séquence ou l'on voit Jiro Horikoshi monter dans un avion factice sur le fait du toit pour s'envoler dans une séquence onirique.
Une des différence est l'absence de situation fantastique, remplacée par de l'onirisme.
 L'avion finit par avoir des ailes et on assiste à un vol sur fond de soleil levant, allégorie au Japon, mais aussi au mythe d'Icare.




Le jeune Jiro Horikoshi ne peut pas voler parceque porteur de lunettes, mais comme il est passionné d'aviation il veut fabriquer des avions, pas n'importe quels avions, des beaux avions.
Toujours dans un rêve il se choisit comme mentor l'ingénieur Caproni, qui a réellement existé et dont les manufactures ont fabriqué le Ca.309 dont le surnom "Ghibli" a donné son nom aux studio fondés par Hayao Myiasaki...
Encore des doutes sur l'aspect très personnel de ce film ? ^^
Caproni lui apparaitra en rêve dans les moments de doutes et difficiles.
Mais Caproni va aussi l'influencer dans ses choix à faire, et donc Jiro qui veut faire de beaux avions, va finalement finir par travailler chez Mitsubishi, sur un modèle de chasseur zéro.
Et là le film prends une dimension Faustienne, pour fabriquer des avions il va sacrifier sa volonté de faire de beaux avions, à celle de pouvoir faire des avions, mais de guerre, et donc des engins de mort.


 

Si on se rappelle le voyage de Chihiro, on a en mémoire la façon de traiter les volumes dans ce film, verticalité pour tout ce qui concerne le pouvoir et l'argent, caractérisé par le batiment des bains ou l'on a les porcs que l'on va manger tout en bas, et Yubaba tout en haut qui dirige l'établissement de bains. Et puis on a l'horizontalité évoquant plutôt l'apaisement et la tranquillité au travers du voyage en train.

Dans "le vent se lève" les angles sont très souvent oblique, et avec des lignes brisées, les plans sont en diagonal et les situations filmées de façon transversales.



Si on pousse un peu plus loin, on remarque que même les décors et les personnages ont ce motif de ligne brisée, dans leur col de veste et chemise sous le visage, dans les motifs des kimonos, et enfin dans les ailes du prototype sur le lequel travaille Jiro.
Ce prototype a certes existé, mais construit en nombre mineur (une quinzaine d'exemplaires) contrairement au zéro qui a été massivement produit.
Et l'avis de Michael Lucken, que je partage, est que ces lignes brisées sont le symbole de son rêve brisé, et donc de la référence au mythe Faustien.
D'ailleurs si on regarde bien, le personnage de Jiro au début est habillé soit en kimono traditionnel, soit en veste a col Mao, donc sans le cou enserré dans ce motif de la ligne brisée.





Jiro commence à porter la cravate et la veste quand il travaille sur son modèle d'avion de chasse zéro.
Les plans montrent des lignes de chemin de fer, des toit oblique, bref des lignes transversales, diagonales, voir brisée.
Cette dimension avec le mythe Faustien est quand à lui renforcé par ce voyage en Allemagne et la rencontre avec des ingénieurs Allemands de Junkers, supposé être des alliés mais qui traitent les Japonais avec morgue.
D'ailleurs le Junker vu dans le hangar a un coté monstrueux, un peu comme le serait le diable avec qui on signerait un pacte.



Il y a d'ailleurs dans ce voyage en Allemagne la seule scène incompréhensible du film, une course poursuite entre un homme et des militaires sans que l'on en comprenne les tenant et les aboutissant.
qu'a voulu nous dire Myiasaki ?
Mystère...
Peut être nous montrer le climat confus et tendu qui régnait en Allemagne à ce moment là entre les militariste de Ribbentrop et Hitler cherchant à accéder au pouvoir, et les opposant de gauche qui les combattaient, mais ce ne sont là que supputations.
Jiro revoit Caproni dans un rêve qui lui annonce son dépit de voir les hommes transformer les avions, qui pourraient être de formidables inventions, en machines de guerre et qu'il va prendre sa retraite.

Après ce voyage Jiro va travailler sur un modèle de chasseur zéro dont le vol d'essai sera un échec, épuisé il va donc aller se reposer dans une auberge à  Karuizawa ou il va rencontrer de nouveau Nahoko Satomi qu'il a déjà rencontré dans un train le menant vers Tokyo, ou il ont été séparé par le tremblement de terre du Kanto de 1923 et ses conséquences, incendies et destructions.




Nahoko qui est atteinte de la tuberculose va délibérément faire le choix de sacrifier leur relation pour que Jiro puisse faire son travail. On retrouve une fois de plus la référence au mythe Faustien, une fois le pacte signé, rien ne peut venir se mettre en travers de sa route.
 On retrouve aussi des éléments récurent dans les films de Myiasaki, le sens du sacrifice, le gout pour l'effort et le travail, même difficile.

Nahoko va donc aller dans un sanatorium et en revenir mieux.
Mais pour laisser son mari, Jiro, travailler sur le chasseur zéro, elle va lui cacher son état, et ce n'est que la soeur de Jiro,  Kayo Horikoshi qui est médecin, qui va s'apercevoir de la gravité de son état et le révéler à Jiro.
Nohoko s'enfuira plutôt que de détourner Jiro de sa "mission" et lui laisser de bons souvenirs.
Le vol d'essai suivant est un succès et Jiro a le pressentiment à ce moment là que Tohoko est morte.

S'ensuivent des images de bombardiers zéro partant accomplir leur missions. On peut d'ailleurs raisonnablement penser que ces avions sont en fait des kamikaze. Impressions renforcées par une déclaration d'Hayao Myiazaki lors de la sortie du film disant que si il avait eu l'age à l'époque, et pris dans la tourmente de la guerre, il se serait surement enrôlés dans les kamikaze.

Le film se termine enfin par cette scène ou Jiro traverse un champs ou repose des carcasses d'avions brisées, il rencontre alors Caproni à qui il fait part de son malaise d'avoir aider à produire des avions qui ont détruit. Caproni lui montre le ciel remplis d'avions divers que vont rejoindre les carcasses des avions fait par Jiro, puis Caproni lui dit qu'il peut être fier, et lui dit de penser à ce qu'il a de plus cher, Jiro aperçoit alors Tahoko, celle ci lui dit de vivre sa vie, jiro la reme
rcie en larme et retourne auprès de Caproni.




 On a donc ce retour au mythe Faustien, symbolisé par Caproni, et dont le prix à payer est le sacrifice de Tahoko.
L'avion aux ailes brisés revient à la scène d'ouverture et à la référence au mythe d'Icare, ainsi qu'a sa funeste fin.
Même si Myiazaki choisit rarement de fin pour ses films, laissant plutôt le spectateur choisir, une fois encore, ce film se distingue par sa fin sous forme de constat d'echec.
Cela fait de ce film quelque chose de très pessimiste, mais Myiazaki a déclaré dans une interview qu'il était très inquiet et pessimiste pour l'avenir des jeunes au Japon.
Certes l'oeuvre de Myiazaki est immense et a rayonné bien au delà du Japon, fabriquant une nouvelle esthétique comparable à notre époque à ce qu'on été les estampes du Japon féodal.




2 commentaires:

  1. La chance une conférence de Lucken sur Miyazaki ! Je n'ai jamais suivi un cours de ce professeur (j'étais pas vraiment inscrite dans le bon département), mais j'ai appris plein de choses en écoutant mon namoureux me parler de ses cours.
    Par contre j'ai commencé à te lire et j'ai abandonné car je préfère voir le film avant.

    RépondreSupprimer
  2. J'ai trouvé la conférence de grande qualité, et je ne savais pas que Lucken était aussi réputé.
    Tu as raison, j'ai oublié de préciser que mon article spoile complètement le film. Mieux vaut l'avoir vu avant. ^^

    RépondreSupprimer